By Jacques Desmarais, CHAT
« Au cours des deux dernières décennies (1990-2010), un véritable tsunami de délocalisations et de fermetures d’usines a déferlé sur le Québec. Plus de 200 000 emplois manufacturiers permanents ont disparu.»1 Entre 1990 et 2012, l’emploi manufacturier est passé de 19% à 12,5% de l’emploi total dans l’ensemble de l’économie. Dans certains secteurs, la chute a été plus prononcée. Entre 1987 et 2012, la part du secteur de la fabrication par rapport à l’ensemble de l’économie est passée de 18,9% à 12,5%.2
En quoi le Québec participe-t-il au phénomène de la désindustrialisation en Amérique du Nord et dans l’Europe occidentale? En 2020, le Centre d’histoire et d’archives du travail (CHAT) est devenu partenaire du projet de recherche La désindustrialisation et la politique de notre temps (DÉPOT). La collaboration du CHAT consiste en l’analyse de six fermetures d’usine au Québec dans les secteurs des pâtes et papier (Papiers Gaspésia à Chandler; Domtar à Lebel-sur-Quévillon; Produits forestiers Résolu (PFR) à Shawinigan), de la production de textile (Canadian Celanese à Drummondville), de la production d’aluminium (Rio-Tinto à Shawinigan) et de la construction navale (Marine Industries à Sorel-Tracy).
Le portrait de l’histoire des fermetures de ces usines montre les caractéristiques suivantes :
1) une implantation par un baron ou une grande société de l’industrie dans un territoire doté de ressources imposantes et franchement disponibles (forêt, cours d’eau, main d’œuvre);
2) une période de croissance durant la Seconde Guerre mondiale et les Trente glorieuses (1945-1973);
3) un éventail des difficultés créés par la concurrence étrangère stimulée par la montée des pays en émergence et les vacillements des pouvoirs publics à l’égard de la libéralisation des marchés;
4) des expériences plus ou moins heureuses de diversification de la production en réaction au nouvel environnement;
5) des résultats contrastés selon les modifications de la demande (du papier journal au numérique; des fibres naturelles aux produits synthétiques) et la présence ou l’absence d’investissement des entreprises dans leur appareil de production;
6) l’arrivée des normes environnementales exigeantes;
7) des participations plus ou moins actives et heureuses des gouvernements et de leurs agences dans l’évolution des performances de chaque usine.
La description des fermetures fait voir des pertes substantielles d’emplois souvent bien rémunérés, des effets négatifs sur la santé physique et mentale des travailleurs·euses (maladies physiques, alcoolisme et toxicomanie, stress et anxiété, dépression), des impacts sur les relations familiales et un déclin économique local/régional.
Les études sur les conditions de travail des usines et les actions syndicales menées parfois rudement durant toutes ces années montrent les objectifs suivants :
1) améliorer les conditions de travail;
2) trouver des accords qui protègent les emplois et encouragent l’investissement dans la modernisation des équipements et des processus de production;
3) organiser des grèves et des manifestations visant à amener les décideurs politiques à agir pour contrecarrer les conséquences négatives qui découlent des fermetures;
4) négocier des accords de licenciement (indemnités de départ et prestations d’assurance-emploi) et de formation de reconversion professionnelle ainsi que des services de soutien (recherche d’emploi et conseils en matière de santé).
Sont aussi décrites les actions de mobilisation des communautés (citoyens, regroupements des gens d’affaires, leaders politiques et sociaux) en vue de protéger les emplois, de trouver des alternatives à la fermeture et d’organiser une reconversion industrielle.
Dans la foulée de la fermeture, les défis de la reconversion industrielle sont présentés : conditions de création de nouveaux emplois; mise à niveau ou construction de nouvelles installations; diversification de la production; intégration dans l’économie locale; intervention proactive des entités politiques et économiques; apport important des institutions privées et publiques au financement; participation de la communauté. Les études présentent les approches adoptées dans chaque cas et les résultats vraiment ou nullement satisfaisants selon les circonstances de chaque situation.
En conclusion, voici un portrait typique de l’évolution d’entreprises construites pour répondre à une demande croissante de produits manufacturés et concentrées sur un seul produit ainsi qu’établies sur un territoire offrant des conditions optimales (abondance de matières premières et de main d’œuvre, cours d’eau pour l’alimentation électrique et le transport, proximité des centres urbains). Après une croissance réelle, mais soutenue diversement, ces entreprises font à la fois l’expérience de conflits sociaux et économiques et l’avènement de la mondialisation et de la concurrence internationale pour finalement en arriver à décider la délocalisation et la fermeture de l’usine. Les mêmes raisons sont invoquées : productivité insuffisante et rentabilité insatisfaisante. Quoi de nouveau sous le soleil! Dans un cas, la réaction déterminée de la communauté qui prend son avenir en main et met en place les conditions de reconversion de en empruntant une démarche proactive, planifiée et coordonnée; dans deux autres, l’échec et la réussite de la relance.