Photo: Travailleurs Innus du Iron Ore Company à Schefferville, Québec. Bibliothèque et Archives Canada, R216, RG10, Boîte: 3673.
Il y a quarante ans cet été, la Cleveland Iron Ore Company of Canada (IOC) fermait sa mine à ciel ouvert dans l’extrême nord-est du Québec, mettant en question l’avenir de la ville de Schefferville. La plupart des logements de cette ville de 2 500 habitants appartenaient à l’entreprise qui fermait ses portes, tout comme la longue ligne de chemin de fer qui mène à Sept-Îles, la seule liaison terrestre avec le monde extérieur. Alors que la plupart des fermetures d’entreprises industrielles ne suscitent guère d’intérêt en dehors de la localité ou de la région immédiate, Schefferville a fait la une des journaux du Canada pendant des semaines, voire des années.
Comment expliquer cet intérêt soutenu?
Il y a deux raisons principales. Tout d’abord, le président du IOC était Brian Mulroney, qui devait se représenter sous peu à la direction du parti conservateur fédéral après un *. Alors que de nombreux experts pensaient initialement que la fermeture de Schefferville allait anéantir ses chances, Mulroney s’est avéré extrêmement compétent et a réussi à renverser la narrative. Au lieu d’être l’homme qui a tué une ville, Mulroney s’est présenté comme son champion, passant à l’offensive contre les gouvernements provinciaux et fédéraux qui extrayaient des redevances et des taxes de la région mais n’investissaient que très peu. Il a presque à lui seul forcé le Québec à promettre de ne pas fermer la ville. Tant que la ville dépérissait sans mourrir, on ne pouvait pas reprocher à Mulroney de l’avoir tuée.
Après des mois d’incertitude, et quelques heures seulement avant que Mulroney se rende en jet privé à Winnipeg pour le congrès des conservateurs qui a lancé la course à la chefferie, Mulroney a négocié un accord de clôture adouci avec les Métallurgistes unis d’Amérique. Ce faisant, il a transformé Schefferville en un atout pour sa carrière. Il a remporté ensuite la course à la direction et les élections suivantes, devenant ainsi premier ministre du Canada en 1984. En tant que premier ministre, Mulroney a imposé la privatisation et l’austérité, supprimant les allocations de chômage et récupérant les indemnités de licenciement des travailleurs déplacés. Il a ensuite négocié des accords de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique, ce qui a rendu les filiales des multinationales basées aux États-Unis étant largement superflues et déclenché une restructuration industrielle massive.
Pendant ses années, “Plus de Scheffervilles” est devenu un slogan de manifestation populaire.
La deuxième raison pour laquelle Schefferville a attiré l’attention nationale est son importance symbolique dans l’expansion vers le nord de la frontière industrielle du Québec pendant le boom de l’après-guerre. Ainsi, lorsque les politiciens québécois de l’époque promettent la prospérité dans les années 1950, ils invoquent régulièrement l’exploitation du minerai de fer et la ville de Schefferville. À l’annonce de la fermeture, une commission parlementaire québécoise a été nommée pour enquêter sur le sort de la ville, prenant l’initiative sans précédent de tenir des audiences à l’extérieur de la capitale. Dans les transcriptions, nous entendons les témoignages de l’entreprise, du syndicat et des habitants de la région, y compris les communautés naskapie et innue – les peuples autochtones qui habitent cette région depuis des millénaires.
Par le temps que la commission parlementaire ait visité Schefferville en février 1983, seulement une maison sur quatre était encore occupée, laissant certaines rues entièrement abandonnées. Le langage de la colonisation a marqué les deux jours d’audiences, avec l’invocation régulière de la version québécoise du récit des pionniers blancs. Par exemple, un groupe de jeunes blancs francophones qui sont nés ou ont grandi dans la ville a déclaré : « Nous savons, et vous savez, que nous sommes les gardiens de la frontière. Schefferville, ce n’est pas seulement une mine de fer, c’est aussi la présence d’un peuple ‘typiquement québécois.' » Cette articulation de leur identité a été définie contre les peuples autochtones. Pourtant, leur présentation a trouvé un écho auprès des représentants élus du Parti Québécois au pouvoir.
En revanche, la réaction des membres de l’assemblée nationale aux deux présentations autochtones était révélatrice, car ils n’ont pas reconnu que les communautés autochtones étaient économiquement touchés par l’annonce de la fermeture de la mine, même si des dizaines d’ouvriers autochtonnes travaillaient pour IOC. Le député provincial libéral John Ciaccia est allé jusqu’à rejeter leurs préoccupations comme étant sans rapport avec la tâche qu’avait à accomplir la commission : « Je ne pense pas que nous devrions permettre aux autochtones de se sentir obligés de faire des présentations, comme ils l’ont fait devant cette commission parlementaire, qui a été mandatée, non pas pour examiner les problèmes des autochtones, mais pour examiner les problèmes des citoyens de Schefferville.”
Ce qui est encore plus révélateur, c’est que la population blanche de Schefferville, déjà en fort déclin, a chuté d’un coup au cours de ces mois. Au moment de l’arrivée de la commission parlementaire, la région comptait déjà une majorité autochthones. Peu de temps après, elle a atteint 80 % à mesure que les mineurs blancs et leurs familles retourneront au sud. Pourtant, la commission parlementaire a continué d’associer la ville à ses résidents blancs. Lorsque les dirigeants innus et naskapis ont contesté cet ethnocentrisme, leur présence aux audiences a été remise en question.
Le cas de Schefferville nous rappelle donc que l’industrialisation était liée à des processus de racialisation plus larges et que la désindustrialisation était elle-aussi racialisée.
Pour en savoir plus sur l’histoire de Schefferville, consultez mon article « ‘With Iron We Conquer’ : Deindustrialization, Settler Colonialism, and the Last Train out of Schefferville, Quebec, » Canadian Historical Review 104, 1 (March 2023), 50-75 ou écrivez-moi directement pour en obtenir une copie (steven.high@concordia.ca).
Steven High est professeur d’histoire à l’Université Concordia et directeur du projet de recherche la Déindustrialization et la politique de notre temps (DéPOT).